"Sortir de l’euro permettrait à la Grèce de repartir"

Interview with Hans-Werner Sinn, www.lemonde.fr, 15.07.11

 

   

BERLIN, CORRESPONDANCE - Monsieur Sinn, vous plaidez pour une sortie temporaire de la Grèce de la zone euro. Cela ne signifie-t-il pas la fin de l’union monétaire?

Non. Ce qui déstabilise l’euro est le déni de réalité des politiques. Le développement de la Grèce est massivement handicapé par l’euro. La Grèce a deux problèmes: d’abord elle est surendettée. Deuxièmement, et c’est le principal problème, la Grèce n’est plus compétitive. A cause des crédits à taux faible dont elle a pu profiter grâce à l’euro, le pays s’est mis dans une situation inflationniste et a développé un déficit extérieur énorme. Pour que ce déficit disparaisse, la Grèce doit réduire ses prix de 20 à 30%. Une telle baisse des prix à l’intérieur de la zone euro n’est pas possible, en tout cas pas à court terme. L’Allemagne a subi une situation similaire entre 1929 et 1933. A l’époque, nous ne pouvions pas dévaluer à cause du plan Dawes et Young qui spécifiait le traité de Versailles. A la place, nous avons dû procéder à une baisse des prix. Ils ont diminué de 23% et les salaires ont baissé de 30%. Cela a conduit l’Allemagne au bord de la guerre civile. On ne doit pas exiger la même chose de la Grèce..

Herr Sinn, Sie plädieren für einen temporären Ausstieg von Griechenland aus der Eurozone. Ist es nicht das Ende der Währungsunion?

Nein. Was den Euro destabilisiert ist die Verweigerung der Politik gegenüber der Realität. Griechenlands Entwicklung wird durch den Euro massiv behindert. Griechenland hat zwei Probleme: Erstens ist es überschuldet. Zweitens, und das ist das Hauptproblem, ist Griechenland  nicht mehr wettbewerbsfähig. Durch den billigen Kredit, der unter dem Euro zur Verfügung stand, wurde das Land inflationär  aufgeblasen und entwickelte ein gewaltiges Außenhandelsdefizit. Damit das Defizit verschwindet, muss Griechenland um 20 bis 30 Prozent billiger werden. Eine solche Preissenkung im Euroraum ist aber nicht möglich, jedenfalls nicht in kurzer Zeit. Deutschland hat das von 1929 bis 1933 durchgemacht. Wir durften damals nicht abwerten wegen des Dawes- und Young- Plans, der den Vertrag von Versailles spezifizierte. Statt dessen mussten die Preise fallen. Sie gingen  um 23% zurück, und die Löhne fielen um 30%. Das hat Deutschland an den Rand eines Bürgerkriegs getrieben. Man sollte das Griechenland nicht zumuten.

Est-ce que la situation ne serait pas pire dans le cas d’une sortie de l’euro ?

En cas de sortie, il y a une panique bancaire. Les gens essayent de retirer leurs euros à la banque pour se protéger d’un change en drachme et d’une dévaluation. Les banques sont alors insolvables. Il faut les sauver. Mais ce n’est qu’un court orage après lequel le soleil brille de nouveau. La dévaluation fait repartir l’économie après seulement quelques mois. Au lieu de baisser des millions de prix, on n’en baisse qu’un seul, le taux de change. L’avantage pour les entreprises de l’économie réelle est que leurs emprunts bancaires sont également changés en drachmes et dévalués. Dans le cas d’une simple baisse des prix, les entreprises de l’économie réelle seraient poussées à la faillite, parce que les prix de l’immobilier s’effondrent, les dettes des banques restent. Les dettes vis-à-vis de l’étranger, dans le cas d’une dévaluation indirecte via la baisse des prix ou dans celui d’une dévaluation ouverte, sont tout autant insupportables. Il faut accepter qu’une partie de ces dettes ne soit pas remboursées.

Wäre es nicht bei Austritt noch schlimmer?

Bei einem Austritt gibt es ein Bankrun. Die Leute versuchen ihre Euros von der Bank abzuheben, um sich von dem Umtausch in die Drachme und eine Abwertung zu schützen. Die Banken sind dann insolvent. Man muss Sie retten. Aber das ist nur ein kurzes Gewitter, nach dem die Sonne wieder scheint. Die Abwertung bringt die Wirtschaft schon nach wenigen Monaten wieder in Schwung. Statt Millionen von Preisen muss man nur ein einzigen Preis senken, den Wechselkurs. Der Vorteil für die Firmen der Realwirtschaft ist, dass ihre Bankschulden auch in Drachme umgetauscht und abgewertet werden. Bei einer bloßen Preissenkung  würden die Firmen der Realwirtschaft statt dessen in den Konkurs getrieben, weil die Immobilienwerte fallen, die Bankschulden aber bleiben. Die ausländischen Schulden werden bei einer indirekten Abwertung durch Preissenkung und einer offenen Abwertung gleichermaßen unerträglich. Man muss sie dem Land großenteils erlassen.

Est-ce que les plans d’aide à la Grèce ont encore un sens ?

Les politiques qui pensent qu’ils peuvent sauver la Grèce et d’autres pays en difficulté avec de nouveaux programmes d’aide oublient que ceux-ci cimentent le manque de compétitivité des pays concernés. Les déficits de la balance des paiements deviennent alors chroniques et les sommes nécessaires au sauvetage sont gigantesques. Cette politique provoque la protestation des contribuables dans les pays stables, en particulier en France, et n’aide pas vraiment les pays concernés.

Machen die europäische Rettungspakete für Griechenland noch Sinn ?

Politiker, die glauben, sie könnten Griechenland und die anderen gefährdeten Länder mit immer neuen Hilfsprogrammen retten, übersehen, dass damit die fehlende Wettbewerbsfähigkeit der betroffenen Länder zementiert wird. Die Zahlungsbilanzdefizite werden dann  chronisch, und die  Rettungssummen werden unermesslich groß. Diese Politik provoziert den Protest der Steuerzahler in den stabilen Ländern, insbesondere auch in Frankreich, und sie hilft den betroffenen Ländern nicht wirklich.

Pourquoi ?

L’Allemagne a l’expérience d’une telle politique à travers la réunification. Nous avons fait des Länder de l’est une région sous perfusion, qui même aujourd’hui, vingt ans après la réunification, n’est pas compétitive. L’Allemagne de l’est vit un exode massif de ses forces de travail parce que les aides publiques ont augmenté artificiellement les salaires et ont empêché la création d’emplois compétitifs. Depuis 15 ans, entre l’Allemagne de l’est et de l’ouest, il n’y a aucune convergence du produit intérieur brut par tête, en dehors de la diminution continue de la population à l’est. L’Allemagne n’aurait pas dû justifier cette « union de transfert ». A l’époque, il y avait une opportunité de lancer une croissance autonome grâce à une politique de modération salariale. Cette opportunité a été manquée.

Warum ?

Deutschland hat Erfahrungen mit einer solchen Politik durch die deutsche Wiedervereinigung. Wir haben in den neuen Bundesländern einen Almosenempfänger geschaffen, der selbst heute, zwanzig Jahre nach der Vereinigung, nicht wettbewerbsfähig ist. Ostdeutschland erlebt einen Massenexodus von Arbeitskräften, weil die staatlichen Hilfen die Löhne künstlich hochtrieben und das Entstehen wettbewerbsfähiger Arbeitsplätze verhinderten. Es gibt seit 15 Jahren zwischen Ost- und Westdeutschland keine Konvergenz im Bruttoinlandsprodukt je Kopf außer durch die fortwährende Verringerung der Zahl der Köpfe im Osten. Man hätte eine Transferunion auch in Deutschland nicht begründen dürfen. Damals hätte die Chance bestanden, mit einer zurückhaltenden Lohnpolitik ein sich selbst tragendes Wirtschaftswachstum in Gang zu bringen. Die Chance wurde vertan.

Combien de temps durerait une sortie temporaire de la Grèce de la zone euro ?

Cela ne doit pas durer longtemps. Je pourrais m’imaginer que la Grèce, après une dévaluation, retrouve très rapidement, en quelques années, sa compétitivité et puisse revenir dans l’euro sur la base d’un nouveau taux de change.

Wie lange würde ein temporärer Austritt von Griechenland aus der Eurozone dauern?

Er muss nicht lange dauern. Ich könnte mir vorstellen, dass Griechenland nach der Abwertung sehr schnell, innerhalb von wenigen Jahren seine Wettbewerbsfähigkeit wieder erlangt und mit dem neuen Wechselkurs wieder in den Euro eintreten kann.

Est-ce que cela ne créerait pas une réaction en chaîne? L’Irlande, le Portugal ont aussi de gros problèmes, et l’Italie vient de voir sa note abaissée par l’agence Moody’s…

Je ne pense pas que la comparaison entre la Grèce et l’Italie soit d’une quelconque manière adaptée. L’Italie est un pays avec une économie robuste. Les régions les plus productives et les plus riches de toute l’Europe se trouvent dans le nord de l’Italie. Le parallèle avec la Grèce est erroné. Je n’ai pas le moindre doute que l’Italie dispose des forces nécessaires pour réduire son taux de dette d’Etat. L’Espagne et l’Irlande sont également à même de régler leurs problèmes. L’Irlande a un comportement exemplaire. Il en est tout autre du Portugal : la situation au Portugal n’est pas aussi extrême qu’en Grèce, mais elle est comparable. Au Portugal aussi il n’y a aucun signe qui montre que le pays puisse regagner sa compétitivité dans un avenir prévisible. Il revient maintenant aux politiques du Portugal de décider s’ils sont prêts aux étapes radicales qui sont nécessaires pour y parvenir.

Würde nicht eine Kettenreaktion entstehen? Irland, Portugal haben auch große Probleme, und Italien wurde gerade von der Agentur Moody's herabgestuft.

Ich glaube nicht, dass der Vergleich zwischen Griechenland und Italien in irgendeiner Weise angemessen ist. Italien ist ein Land mit einer robusten Wirtschaft. Die produktivsten und reichsten Regionen ganz Europas liegen in Norditalien. Die Parallele zu Griechenland ist abwegig. Ich habe nicht den geringsten Zweifel, dass Italien über die Kraft verfügt, seine Staatsschuldenquote zu reduzieren. Spanien und Irland sind auch in der Lage, ihre Probleme meistern. Irland verhält sich mustergültig. Anders ist es mit Portugal: die Situation in Portugal ist nicht ganz so extrem wie Griechenland, aber ähnlich. Auch in Portugal gibt es noch keinerlei Anzeichen, dass das Land seine Wettbewerbsfähigkeit in absehbarer Zeit zurück gewinnen könnte. Es ist jetzt an Portugals Politikern, zu entscheiden, ob man die dazu nötigen radikalen Schritte bereit ist zu gehen.  

Est-ce que la zone euro est encore durable ?

J’estime que la zone euro et l’euro sont indispensables pour poursuivre l’intégration européenne et j’espère que les problèmes actuels ne sont que temporaires. Cependant, la question est de savoir si on doit, au niveau européen, ficeler des programmes de sauvetage dans des proportions gigantesques ou si on doit plutôt en appeler à la responsabilité des Etats. Il faut autoriser que les pays à l’intérieur de la zone euro fassent faillite. On a besoin, à l’intérieur d’un système monétaire, d’un règlement des faillites pour les Etats avec un programme d’aide, ainsi que l’EEAG (European Economic Advisory Group n.d.t.), un conseil d’experts composé de sept économistes originaires de sept pays, l’a recommandé. On a besoin d’un système de taux différentiels en Europe, qui reflète la probabilité de faillite des Etats, afin d’encourager les Etats à ne pas s’endetter. L’Italie a toujours refusé de céder aux pressions de Bruxelles. Mais regardez la vitesse avec laquelle le pays réagit aujourd’hui à la hausse des taux d’intérêts différentiels. Seuls les marchés conduisent à un changement de politique. Si, comme le suggèrent certains, on mettait les dettes en commun et on introduisait des « eurobonds », de façon à ce que les taux différentiels disparaissent, on créerait un système d’irresponsabilité. L’euro sombrerait alors dans un marasme de dettes.

Ist die Eurozone noch haltbar?

Ich halte die Eurozone und den Euro für unerlässlich für die weitere Integration Europas, und ich hoffe, dass die jetzigen Probleme nur Übergangsprobleme sind. Die Frage ist jedoch, ob man nun auf EU- Ebene Rettungspakete gigantischen Ausmaßes schnüren oder ob man nicht lieber an die die Selbstverantwortung der Länder appellieren sollte. Man muss zulassen, dass Länder des Euroraums in Konkurs gehen können. Man braucht innerhalb eines Währungssystems eine Konkursordnung für Staaten mit einem Hilfsprogramm wie es die EEAG, ein Sachverständigenrat von sieben Ökonomen aus sieben Ländern empfohlen hat.  Man braucht ein System der Zinsspreads in Europa, das die individuelle Konkurswahrscheinlichkeit der Staaten reflektiert, um den Staaten auf diese Weise einen Anreiz zu geben, sich nicht zu überschulden. Italien hat sich dem Druck aus Brüssel immer verweigert. Aber sehen Sie, wie schnell das Land heute auf die wachsenden Zinsspreads reagiert. Nur die Märkte führen zu einem Politikwechsel. Wenn man indes, wie manche es vorschlagen, die Schulden in Europa vergemeinschaftet und Eurobonds einführen würde, so dass die Zinsspreads verschwinden, dann würde ein System der Verantwortungslosigkeit geschaffen. Dann würde der Euro im Schuldensumpf versinken.

 

Was halten Sie von der Kritik aus Berlin und Brüssel gegenüber den Ratingagenturen? Ist eine Europäischen Ratingagentur die gute Lösung?

Die amerikanische Ratingagenturen waren parteiisch, als es darum ging, die amerikanischen Investmentbanken zu beurteilen. Da wäre es gut gewesen, man hätte auch Europäische Ratingagenturen gehabt. Aber heute sind die  amerikanischen Ratingagenturen ein Segen für Europa. Es macht keinen Sinn, den Feuermelder abzustellen, wenn es brennt.

Propos recueillis par Cécile Boutelet

 

 

 

Rectificatif

L’interview du professeur Hans-Werner Sinn à propos de la crise de l’euro, parue sur le site internet et la version papier du Monde daté du 16 juillet comporte une traduction erronée et une précision non autorisée de l’entretien donné en allemand, qui peut donner lieu à de fausse interprétations. Le site internet a entretemps été corrigé.
Le passage critique a été publié de la façon suivante:
«  L’Allemagne a connu la même situation entre 1929 et 1933. A l’époque, elle ne pouvait pas dévaluer à cause des plans Dawes et Young, elle a dû procéder à une baisse de ses prix et de ses salaires (déflation), qui a mis le pays au bord de la guerre civile et fait le lit du nazisme. La même chose pourrait se passer en Grèce si on continue à exiger d’elle qu’elle baisse ses prix et ses salaires de 30%. »
La mention du nazisme n’a pas été mentionnée par M. Sinn dans l'interview originale, mais a été ajoutée lors de la traduction par la journaliste dans un souci d'explication au lecteur du contexte historique. Cette clarification aurait dû être faite entre parenthèses accompagnée de la mention « n.d.t » (note du traducteur). La phrase a été retirée du site internet. Nous prions M. Sinn et nos lecteurs d'accepter nos excuses. La traduction correcte du texte est la suivante:
« qui a mis le pays au bord de la guerre civile. On ne doit pas exiger la même chose de la Grèce ».

Le Monde, 17.07.2011

 

Rectification

 The interview with Prof. Hans-Werner Sinn on the euro crisis, published on 16 July 2011 in the print and online versions of Le Monde, contained a mistranslation and an unauthorised addition to the original German-language interview, which can give rise to misinterpretations. The online version has been corrected in the meantime.
 The critical passage was published as follows:
« L’Allemagne a connu la même situation entre 1929 et 1933. A l’époque, elle ne pouvait pas dévaluer à cause des plans Dawes et Young, elle a dû procéder à une baisse de ses prix et de ses salaires (déflation), qui a mis le pays au bord de la guerre civile et fait le lit du nazisme. La même chose pourrait se passer en Grèce si on continue à exiger d’elle qu’elle baisse ses prix et ses salaires de 30%. »
(“Germany experienced the same situation between 1929 and 1933. At that time, the Dawes and Young Plans did not allow it to devalue, so it had to cut prices and salaries (deflation), which brought the country to the brink of a civil war and prepared the ground for Nazism. The same thing could occur in Greece if demands continue for it to slash prices and wages by 30%.”)
The allusion to Nazism was not made by Prof. Sinn in the original interview, but was added to the translation by the journalist as a way to make clear the historical context to the reader. Such an addition should have been made in parentheses, accompanied by an n.t. indication (note of the translator). The sentence has been removed from the internet. Our apologies to Prof. Sinn and our readers. The correct translation of the text is as follows:
« … qui a mis le pays au bord de la guerre civile. On ne doit pas exiger la même chose a Grèce. »
(“…that brought the country to the brink of a civil war. No such thing must be demanded of Greece.”)

Le Monde, 17.07.2011