La bombe à retardement démographique de l'Allemagne fait tic tac. Les babyboomers nés en 1964 ont aujourd'hui cinquante ans et ont l'intention de réclamer leur pension de retraite dans quinze, voire treize ans. Cependant, la combinaison d'un nombre croissant de retraités et d'un nombre bien inférieur de gens plus jeunes conduit à un conflit de générations presque insoluble et extrêmement prévisible. En 2000, 100 personnes en âge de travailler (15-64 ans) devaient financer 24 personnes ayant l'âge de la retraite ( + 65 ans). En 2011, ce nombre était passé à 31 retraités. Dans quinze ans, il atteindra 47. Dans vingt ans, ce sont 55 retraités qu'il faudra soutenir, soit plus du double par rapport au début du siècle.
Dans les statistiques des naissances de l'OCDE, l'Allemagne se situe très bas : avec 8,4 naissances pour 1 000 habitants en 2012, elle a quitté la dernière place, qu'elle occupait depuis un certain temps. Elle est à présent avant-dernière, devant le Japon. Ce qui n'a été possible que grâce aux immigrants dont les enfants représentent aujourd'hui le tiers des nouveau-nés en Allemagne. Sans eux, le pays serait toujours relégué à la dernière place des statistiques des naissances.
Les baby-boomers n'ont toujours aucune idée de ce qui les attend, parce qu'ils bénéficient d'une situation fortuite et sans équivalent dans l'histoire. Jamais dans l'histoire de l'Allemagne, les cinquantenaires n'ont eu à soutenir aussi peu de gens âgés et jeunes, en termes relatifs. Cette situation ne se reproduira jamais. Les baby-boomers ont pu financer leurs parents avec l'aide de leurs nombreux frères et soeurs; le financement de leurs enfants ne posait pas de problème parce qu'ils en avaient très peu. Ils disposaient donc de beaucoup d'argent pour faire des dépenses de consommation sans précédent. Mais, dans environ quinze ans, la belle vie se transformera brutalement en désespoir lorsque le gros des baby-boomers prendra sa retraite, espérant le soutien d'enfants qui n'existent pas. La descente de la béatitude du consommateur à la pauvreté de la vieillesse sera soudaine, profonde et douloureuse.
Les dangers politiques de cette évolution sont considérables. Les baby-boomers utiliseront leur influence politique pour échapper à la pauvreté prévisible de la vieillesse en imposant des charges croissantes à leur petit nombre d'enfants. Dès 2002, dans un article co-écrit avec Silke Übelmesser, nous prédisions que la jeune génération perdrait la majorité politique numérique en 2015. Après cette date, les électeurs assez âgés pour bénéficier d'augmentations de pensions auront plus d'influence que ceux qui, en fin de compte, risquent d'être des perdants toute leur vie. L'Allemagne est en train de devenir une gérontocratie.
Même s'ils sont minoritaires, les jeunes n'accepteront pas d'être exploités sans se battre. S'ils se voient obligés de verser une part croissante de leur revenu au gouvernement pour financer les pensions des personnes âgées, ils émigreront ou descendront dans la rue pour faire entendre leur mécontentement, exerçant des pressions dangereuses sur la démocratie allemande. Le fait qu'en même temps il leur faudra payer pour renflouer l'Europe du Sud n'arrangera rien.
Mais que peut-on faire face à cette situation démographique critique? Une partie de la solution est d'augmenter le nombre d'immigrés. L'immigration de masse dont l'Allemagne fait déjà l'expérience à cause de la crise dans le sud de l'Europe s'intensifiera d'elle-même à mesure qu'il y aura de plus en plus d'emplois disponibles. L'âge de la retraite sera probablement encore relevé, malgré les récentes décisions rétrogrades prises par la coalition au pouvoir. Mais les estimations sur le nombre d'immigrés nécessaires et le relèvement de l'âge de la retraite sont bien plus élevées qu'on ne l'imagine ou que ce peut tolérer la population.
C'est pourquoi il n'y a pas d'alternative à l'augmentation du taux des naissances. Pour y parvenir, il faut cesser d'exploiter et de discriminer les familles. Si on modifie la base de calcul des pensions pour tenir compte du nombre d'enfants, faisant ainsi participer les parents dans les résultats de leurs efforts pour 182 élever des enfants, le nombre des naissances augmentera certainement. Plus une personne élèvera d'enfants, plus elle recevra de suppléments de pension de la génération de ses enfants adultes et actifs.
Une mesure particulièrement efficace serait d'accroître rapidement le nombre de crèches pour raccourcir les listes d'attente des jeunes familles. Comme le montre une étude exhaustive de l'Institut Ifo, la construction et l'occupation de cent nouvelles places de garderies conduisent statistiquement à la naissance d'environ dix enfants supplémentaires.
S'il naissait plus d'enfants en Allemagne, nous aurions plus de chances de prévenir une gérontocratie et de surmonter pacifiquement la crise démographique qui nous menace.
First published as "German Gerontocracy", Ifo Viewpoint No. 159, June 10th, 2014; as "Germany´s Coming Gerontocracy", The International Economy, Fall 2014, XXVIII, No. 4, p. 54, and in German as “Deutsche Gerontokratie“, WirtschaftsWoche, 7. Juni 2014, S. 37.
Translation for Commentaire by Isabelle Hausser.