Président de l’IFO, l’institut de conjoncture de Munich, Hans-Werner Sinn est l’un des économistes les plus influents d’Allemagne. Selon lui, il sera impossible de relancer la croissance si la Grèce ou l’Espagne ne quittent pas temporairement la monnaie unique.
Alors que la France et l’Italie réclament des mesures pour soutenir la croissance, l’Allemagne se montre plus prudente. Pourquoi ?
Parce qu’elle redoute que cela ne soit qu’un prétexte, de la part de certains Etats, pour s’endetter plus, en toute mauvaise foi. Il est vrai que l’Europe a besoin de plus d’investissements. Mais ceux-ci ne devraient pas être financés par de nouvelles dettes. La priorité doit être, en effet de stopper la spirale de l’endettement public. Il s’agit du plus grand danger menaçant la zone euro – bien plus que le prétendu risque déflationniste.
Les gouvernements français, italien et espagnol ont pourtant comme priorité de réduire déficit et dette publics. Ne peut-on pas leur faire confiance ?
Non. Les gouvernements cherchent toujours à s’endetter le plus possible lorsque les taux sont bas et qu’il n’y a pas de contraintes budgétaires pour les en empêcher. Prenez l’Italie. Avant l’entrée dans l’euro, ses taux d’emprunt à dix ans étaient d’environ cinq points plus élevés qu’en Allemagne. Depuis, ils ont formidablement baissé. En a-t-elle profité pour réduire son endettement ? Non. En 2000, sa dette publique était de 120 % du PIB, contre 135 % aujourd’hui. Si le pays avait profité de la baisse des taux pour redresser ses finances publiques, il aurait pu ramener son endettement à 60 %.
Le plan de 300 milliards d’euros d’investissements de Jean-Claude Juncker, futur président de la Commission européenne, permettra-t-il de relancer l’activité sur le Vieux Continent ?
Cela dépendra des détails, encore inconnus. Si ces 300 milliards correspondent à des sommes de programmes déjà prévus et redirigées vers des projets utiles, pourquoi pas. S’ils sont financés par de la nouvelle dette, on court à la catastrophe.
Vous estimez que la monnaie unique est responsable des troubles aujourd’hui traversés par la zone euro. Pourquoi ?
L’entrée dans l’euro, en 1999, a tiré vers le bas les taux d’emprunt des pays du sud. Ces taux bas y ont alimenté une monstrueuse bulle de crédit. Trop de capital inutile a été injecté. L’endettement de ces Etats, mais aussi celui du secteur privé, comme en témoigne la bulle immobilière en Espagne, ont explosé. Cela a poussé les salaires et les prix à la hausse, laminant au passage la compétitivité. Lorsque après la chute de Lehman Brothers, en 2008, le robinet de crédit facile s’est tari, la crise des dettes souveraines a éclaté. En ce sens, l’euro est un désastre. Il a conduit le sud de l’Europe au naufrage.
Comment sortir de ce piège ?
Si on ne change rien, les pays du Sud seront contraints d’amplifier leurs politiques de dévaluation interne pour restaurer leur compétitivité. L’Espagne a déjà baissé ses prix de 6 % : c’est bien, mais il faudrait aller au moins jusqu’à 30 % ! Et au moins autant en Grèce. De tels efforts seraient peu supportables pour la population. Il faut donc envisager une autre voie, combinant un plan d’allégement des dettes et la possibilité, pour les pays les plus mal au point, de sortir temporairement de la zone euro afin de restaurer leur compétitivité. Les pays seraient bien sûr libres de décider s’ils veulent rester en zone euro ou pas, mais ils n’ont pas le droit de demander des garanties sans limite à leurs partenaires. Ce potentiel a déjà été utilisé outre mesure.
Autoriser des pays à sortir de la zone euro ne relancerait-il pas une terrible crise de confiance sur les marchés, comme en 2010 ?
C’est en effet un risque. Il y aurait probablement un « bank run », un mouvement de panique bancaire, comme on l’a observé lors de la crise chypriote. Il faudrait mettre en place un strict contrôle des capitaux pour limiter les fuites, transformer les contrats en euros en monnaie locale. Mais cette sortie serait temporaire, un peu comme un séjour à l’hôpital. Elle permettait aux pays de dévaluer leur monnaie, de réduire le chômage et de poursuivre les réformes structurelles dans de meilleures conditions, avant d’envisager un retour dans l’union monétaire. Délicat, mais rien d’impossible à gérer. Surtout, le scénario qui attendrait l’union monétaire sans cela serait bien pire : chômage de masse et spirale de l’endettement, qui nous conduiraient à un lent dépérissement accompagné de l’éclatement de nouvelles crises d’endettement.
Vous suggérez d’alléger les dettes des Etats : encore faut-il que leurs créanciers l’acceptent !
Mais ils n’auront pas le choix, comme ils n’ont pas vraiment eu le choix lorsque l’on a restructuré la dette grecque, en 2012 : c’est la meilleure option pour repartir sur des bases saines, car on parle ici de dettes publiques suivant de toute façon une trajectoire insoutenable.
Les solutions que vous préconisez sont extrêmes. Qu’est-ce qui pourrait convaincre les gouvernements de les adopter ?
Alors que la France et l’Italie réclament des mesures pour soutenir la croissance, l’Allemagne se montre plus prudente. Pourquoi ?
Parce qu’elle redoute que cela ne soit qu’un prétexte, de la part de certains Etats, pour s’endetter plus, en toute mauvaise foi. Il est vrai que l’Europe a besoin de plus d’investissements. Mais ceux-ci ne devraient pas être financés par de nouvelles dettes. La priorité doit être, en effet de stopper la spirale de l’endettement public. Il s’agit du plus grand danger menaçant la zone euro – bien plus que le prétendu risque déflationniste.
Les gouvernements français, italien et espagnol ont pourtant comme priorité de réduire déficit et dette publics. Ne peut-on pas leur faire confiance ?
Non. Les gouvernements cherchent toujours à s’endetter le plus possible lorsque les taux sont bas et qu’il n’y a pas de contraintes budgétaires pour les en empêcher. Prenez l’Italie. Avant l’entrée dans l’euro, ses taux d’emprunt à dix ans étaient d’environ cinq points plus élevés qu’en Allemagne. Depuis, ils ont formidablement baissé. En a-t-elle profité pour réduire son endettement ? Non. En 2000, sa dette publique était de 120 % du PIB, contre 135 % aujourd’hui. Si le pays avait profité de la baisse des taux pour redresser ses finances publiques, il aurait pu ramener son endettement à 60 %.
Le plan de 300 milliards d’euros d’investissements de Jean-Claude Juncker, futur président de la Commission européenne, permettra-t-il de relancer l’activité sur le Vieux Continent ?
Cela dépendra des détails, encore inconnus. Si ces 300 milliards correspondent à des sommes de programmes déjà prévus et redirigées vers des projets utiles, pourquoi pas. S’ils sont financés par de la nouvelle dette, on court à la catastrophe.
Vous estimez que la monnaie unique est responsable des troubles aujourd’hui traversés par la zone euro. Pourquoi ?
L’entrée dans l’euro, en 1999, a tiré vers le bas les taux d’emprunt des pays du sud. Ces taux bas y ont alimenté une monstrueuse bulle de crédit. Trop de capital inutile a été injecté. L’endettement de ces Etats, mais aussi celui du secteur privé, comme en témoigne la bulle immobilière en Espagne, ont explosé. Cela a poussé les salaires et les prix à la hausse, laminant au passage la compétitivité. Lorsque après la chute de Lehman Brothers, en 2008, le robinet de crédit facile s’est tari, la crise des dettes souveraines a éclaté. En ce sens, l’euro est un désastre. Il a conduit le sud de l’Europe au naufrage.
Comment sortir de ce piège ?
Si on ne change rien, les pays du Sud seront contraints d’amplifier leurs politiques de dévaluation interne pour restaurer leur compétitivité. L’Espagne a déjà baissé ses prix de 6 % : c’est bien, mais il faudrait aller au moins jusqu’à 30 % ! Et au moins autant en Grèce. De tels efforts seraient peu supportables pour la population. Il faut donc envisager une autre voie, combinant un plan d’allégement des dettes et la possibilité, pour les pays les plus mal au point, de sortir temporairement de la zone euro afin de restaurer leur compétitivité. Les pays seraient bien sûr libres de décider s’ils veulent rester en zone euro ou pas, mais ils n’ont pas le droit de demander des garanties sans limite à leurs partenaires. Ce potentiel a déjà été utilisé outre mesure.
Autoriser des pays à sortir de la zone euro ne relancerait-il pas une terrible crise de confiance sur les marchés, comme en 2010 ?
C’est en effet un risque. Il y aurait probablement un « bank run », un mouvement de panique bancaire, comme on l’a observé lors de la crise chypriote. Il faudrait mettre en place un strict contrôle des capitaux pour limiter les fuites, transformer les contrats en euros en monnaie locale. Mais cette sortie serait temporaire, un peu comme un séjour à l’hôpital. Elle permettait aux pays de dévaluer leur monnaie, de réduire le chômage et de poursuivre les réformes structurelles dans de meilleures conditions, avant d’envisager un retour dans l’union monétaire. Délicat, mais rien d’impossible à gérer. Surtout, le scénario qui attendrait l’union monétaire sans cela serait bien pire : chômage de masse et spirale de l’endettement, qui nous conduiraient à un lent dépérissement accompagné de l’éclatement de nouvelles crises d’endettement.
Vous suggérez d’alléger les dettes des Etats : encore faut-il que leurs créanciers l’acceptent !
Mais ils n’auront pas le choix, comme ils n’ont pas vraiment eu le choix lorsque l’on a restructuré la dette grecque, en 2012 : c’est la meilleure option pour repartir sur des bases saines, car on parle ici de dettes publiques suivant de toute façon une trajectoire insoutenable.
Les solutions que vous préconisez sont extrêmes. Qu’est-ce qui pourrait convaincre les gouvernements de les adopter ?
L’aggravation de la situation actuelle et le maintien du chômage de masse, catastrophique pour nos sociétés. Cela conduira probablement à un renouvellement des dirigeants politiques lors des prochaines élections. Et à une prise de conscience : autoriser une sortie temporaire de la zone euro est, de loin, la moins mauvaise des solutions.