Tribune de Genéve.ch, 03.07.2015.
Crise grecque Hans-Werner Sinn, président de l'institut de conjoncture de Munich (Ifo) est favorable depuis longtemps à la sortie de l’euro pour la Grèce.
Interview de Hans-Werner Sinn, président de l'institut de conjoncture de Munich (Ifo). Cet économiste très influent, favorable depuis longtemps à la sortie de l’euro pour la Grèce, a permis de faire prendre conscience aux Allemands de la gravité de la situation et des risques financiers. Christophe Bourdoiseau
Beaucoup craignent le «Grexit». Vous estimez au contraire que c’est une chance. Pourquoi?
La faillite de l’Etat grec, que nous vivons actuellement en direct, provoque un terrible désordre. Si l’on ne souhaite pas que les contribuables des autres pays passent à la caisse, une sortie est la seule solution pour éviter un chaos.
Quel est votre scénario?
Une sortie de la zone euro signifierait un retour au drachme et une dévaluation de la monnaie. Les importations seront plus chères. Mais les Grecs achèteront donc davantage les produits nationaux, en particuliers les produits de leur agriculture. Cela permettra de relancer l’économie. La Grèce pourra accueillir plus de touristes en provenance de Turquie. Enfin, les capitaux envolés à l’étranger reviendront au pays. Les prix étant moins élevés, il y aura des investissements dans l’immobilier et pourquoi pas dans de nouvelles usines. Bien sûr, il reste le problème de la dette à l’étranger. Mais elles seront effacées après la faillite du pays! La dette qui subsistera sera convertie en drachme, donc beaucoup moins lourde à porter.
Pourquoi ne pensez–vous vous pas que le plan des créanciers permettra aux Grecs de s’en sortir?
Jusqu’à présent, ils n’ont réussi qu’à soulager le mal sur le court terme. Une sortie de l’euro est la seule façon pour la Grèce de retrouver sa compétitivité sans recourir à une aide extérieure.
Les mesures d’économie semblaient pourtant avoir remis la Grèce sur le chemin du redressement?
Mais quelles mesures d’économie? Les crédits publics versés à la Grèce par les Etats, la BCE et le FMI ont grimpé depuis le premier trimestre 2010 de 50 milliards à plus de 330 milliards d’euros. Cela correspond à 185% du PIB. On n’avait jamais vu dans l’Histoire autant de pays aider financièrement un autre pays pour atténuer la rigueur imposée par les marchés des capitaux. Malgré cela, le chômage a plus que doublé. Malgré cette manne financière, l’économie s’est effondrée.
Ce n’est pas l’avis des créanciers qui restent convaincus par les bienfaits de l’austérité sur le long terme.
Je vous rappelle que l’austérité n’a pas été imposée par la «troïka» mais pas les marchés. Par ailleurs, les problèmes de la Grèce ne sont pas conjoncturels. Le pays est devenu beaucoup trop cher à cause de la bulle financière créée par les crédits qui ont réduit les taux d’intérêts de 25% à 5%. Dans ce contexte, une politique de l’endettement est contre-productive. Au contraire, elle perpétue une situation de faible compétitivité parce qu’elle empêche une baisse nécessaire des salaires et des prix.
Le plan Juncker pourrait-il fonctionner?
Ce programme suit une politique keynésienne d’endettement en contournant les limites imposées par le Pacte de stabilité et de croissance ainsi que le Pacte budgétaire européen.
Fallait-il annuler la dette en 2010?
Les créanciers l’ont fait en 2012, à juste titre. Mais il aurait fallu au même moment offrir à la Grèce la possibilité de quitter la zone euro. Le pays serait aujourd’hui déjà remis sur les rails.
Le Grexit est-il donc inévitable?
Il n’est pas inévitable car il y aura peut-être encore des réunions de négociations. Un «Oui» peut aussi mener au Grexit. N’oubliez pas: la question posée répond à une offre qui n’existe plus ! On ne sait pas s’il y aura un nouveau programme d’aides. Et si de nouveaux crédits tombent, je ne vois toujours pas comment les Grecs pourront s’en sortir.
Vos détracteurs estiment que vous argumentez avec des théories et que vous oubliez la vision politique de l’Europe...
L’ignorance des règles économiques provoque des conflits politiques. Par ailleurs, il n’y a pas de primat du politique sur les lois de l’économie.
Comment jugez-vous le rôle de la BCE?
La banque centrale européenne a soutenu à bout de bras pendant des années des banques et des Etats mûrs pour la faillite. Ce n’est pas son rôle. Elle est faite pour lutter contre les crises de liquidités qui permettre de soutenir les banques et les Etats afin de sortir d’une difficulté temporaire. Mais elle ne doit pas injecter des fonds tant que les emprunteurs sont incapables de s’en sortir sans l’aide des autres membres. Ces mesures de politique économique dépassent le cadre de son mandat.
Quel résultat attendez-vous du référendum?
Mon pronostic n’a pas beaucoup d’importance. Il faut trouver une solution qui permette de sortir de l’euro tout en conservant une option de réintégration ultérieure. Enfin, il faut une aide pour le financement les importations cruciales, comme l’énergie ou les médicaments.
Quelles conséquences craignez-vous pour l’Europe?
Un effet domino dans ce sauvetage sans fin de la Grèce serait catastrophique. L’Europe risque de s’enliser dans la dette. Je crois vraiment que la faillite, malgré toutes les difficultés, aura quelque chose de positif. Elle montrera clairement qu’on ne peut pas s’endetter à volonté sans se mettre en difficulté.
Considérez-vous Alexis Tsipras comme un homme politique dangereux?
Pas du tout. Tsipras cherche désespérément une solution pour sortir d’une crise dont les responsables sont ses prédécesseurs et l’Union européenne. Il est trop facile d’attaquer personnellement des gens qui sont les victimes d’un système rempli de failles.
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