L’Etat n’a pas besoin d’aider les familles, il doit juste cesser de les discriminer

Autor/en
Hans-Werner Sinn
Le Temps, 07.11.2007, S. 23

Hans-Werner Sinn, Président de l’Institut Ifo et du CESifo, professeur d’économie et de finances publiques, Munich

Les Européens sont vieux, bien qu’ils ne soient pas les plus vieux en termes d’âge moyen. Au Japon, l’âge moyen se monte à 43 ans. Dans l’Europe des quinze, il est de 40 ans, et aux Etats-Unis, de 36 ans. Pourquoi sommes-nous si vieux? Et pourquoi vieillissons-nous si vite? Nous le savons tous: nous faisons trop peu de bébés. Mais trop peu, c’est combien? Aux Etats-Unis, le taux de fertilité est proche de 2,08 enfants par femme, qui est le taux favorisant une population constante, alors que dans l’Europe des 27, il est de 1,5.D’autres statistiques sont intéressantes: par exemple, le nombre d’enfants relativement à la population. Aux Etats-Unis, on compte 14 naissances par millier de personnes, dans l’Europe des 27, seulement 10,4, et en Allemagne 8,4, le plus bas du monde. C’est surprenant car, en termes de fertilité, l’Allemagne n’est pas la plus mal placée.

Ces variations proviennent de la chronologie du taux de fertilité. Au début des années 1960, l’Allemagne avait un taux de fertilité de 2,5, mais au début des années 1970, de 1,5. L’Allemagne a été le premier pays à expérimenter une baisse aussi brusque de son taux de fertilité. Ce qui implique qu’elle possède aujourd’hui peu d’habitants en âge de procréer. En Italie, par exemple, le déclin a commencé six ans plus tard.

Le vieillissement de la population va changer la situation politique en Allemagne parce que les personnes âgées formeront le groupe d’électeurs le plus nombreux. Ce qui aura de fortes implications pour les partis politiques et pour leurs programmes, et éventuellement pour l’Etat providence.

Les personnes âgées, et même celles qui continuent à travailler, seront en faveur d’un élargissement du régime des retraites. Les plus jeunes, ceux qui devront le financer, hésiteront, voire le combattront. Où est la limite? A quel âge serez-vous pour un élargissement? Une majorité de personnes se déclare en faveur d’un élargissement du système de retraites lorsque l’âge médian se trouve au-dessus de l’âge d’indifférence et vice versa.

Comme nous le savons tous, la sécurité sociale sera sous pression, le régime de retraite par répartition se verra menacé, et toutes ces difficultés résulteront du changement de la proportion entre les personnes qui se retrouvent à la retraite et celles qui sont en âge de travailler. Le ratio de dépendance démographique a déjà doublé entre 1950 et aujourd’hui. Et doublera encore d’ici à 2050. En clair, le ratio de dépendance aura quadruplé en un siècle.

Ce qui implique qu’en 2050 chaque personne active devra financer quatre fois plus de personnes âgées qu’en 1950. Tous les pays européens font face à une croissance similaire du ratio de dépendance. Ainsi, les conséquences pour le régime de retraite par répartition sont manifestes. Ou on devra doubler le taux de contribution pour maintenir les retraites en accord avec les salaires ou il faudra diviser les retraites par deux relativement aux salaires. Ou, encore, il faudra choisir un mélange de ces deux politiques.

Quelles sont les solutions politiques? Certes, le continent peut s’appuyer sur l’immigration. Combien de personnes faudrait-il faire venir en Europe pour maintenir le ratio de dépendance ou le système des retraites tel qu’il est actuellement, compte tenu du fait que ces immigrants partiront aussi à la retraite un jour. L’ONU a avancé le chiffre de 701 millions. Naturellement, ce n’est pas une recommandation, mais juste une prévision. Actuellement l’UE compte 390 millions d’habitants. Le nombre de migrants est donc astronomique et montre que l’immigration n’est, dans ce contexte, qu’une goutte d’eau dans l’océan. Travailler plus longtemps est également une autre option. Mais combien de temps devrions-nous travailler pour assurer la stabilité des taux de contribution et de remplacement? Jusqu’à 77 ans, selon l’étude de l’ONU!

Une autre possibilité existe. Il s’agirait de mettre en place une politique en faveur des familles. Quelle est la meilleure solution dans le contexte actuel? Sans doute de prévoir en matière d’éducation, des politiques aidant les femmes à surmonter le conflit entre maternité et carrière professionnelle.

En outre, au lieu de donner des ressources aux familles, nous devrions cesser de les exploiter. Une famille qui éduque un enfant fournit un service précieux à la société. L’enfant paie des impôts et des contributions au fisc et, chaque fois qu’un enfant naît, il y a une énorme externalité fiscale au bénéfice de la société. Tenant compte de cet aspect, Martin Werding de l’institut Ifo a avancé le chiffre de 140000 euros, qui est la valeur nette actuelle de la contribution fiscale au système de retraite de la naissance d’un enfant. Certes, quand l’enfant grandira, il bénéficiera lui aussi du système, mais il fera également des enfants qui, à leur tour, couvriront ces coûts. L’enfant injecte de l’argent dans le système et l’effet net de ce flux d’argent, qui va de zéro à la naissance de l’enfant jusqu’à l’infini si l’on prend en considération sa descendance, est de 140000 euros. C’est comme si le gouvernement déposait dans le berceau de chaque bébé une reconnaissance de dette de 140000 euros, à rembourser par les parents, donnant à la mère et à l’enfant l’option de rembourser cette dette plus tard, mais avec intérêts.

Nous n’avons pas besoin d’aider les familles, mais juste de cesser de les discriminer. En Allemagne, le système de retraites offre un vague soulagement aux mères qui élèvent un enfant supplémentaire et travaillent dix ans après sa naissance. Elles perçoivent 11000 euros de pension additionnelle. Ce n’est rien.

Ce que nous devrions faire, à mon avis, c’est de réduire le degré de socialisation des fruits de l’investissement en capital humain, ce qui se traduirait sans doute par une augmentation des investissements en capital humain. Nous savons que si nous socialisons les fruits de l’investissement, il y aura moins d’investissements. Pourquoi en serait-il autrement pour l’éducation des enfants que pour d’autres types d’investissements? Si les parents avaient la certitude que ce qu’ils investissent dans leurs enfants les aidera quand ils seront âgés, ils auraient plus d’enfants. C’est une idée étrange que de regarder l’éducation des enfants selon un point de vue économique? Eh! bien, réfléchissez à ce qui se passait autrefois.

C’est Bismarck qui a commencé à socialiser dans le système de retraites la capacité de gains des jeunes. Avant la réforme de Bismarck, les gens savaient qu’ils devaient faire des enfants s’ils voulaient obtenir une vie décente lorsqu’ils seraient vieux. Mais après Bismarck tout a changé. Les gens ont appris qu’ils pouvaient mener une vie décente jusqu’au bout, même sans avoir dû élever des enfants. Un mode de vie alternatif, inimaginable avant Bismarck, était devenu possible et a été reproduit par de plus en plus de personnes. Résultat: les comportements ont changé. Des régimes de retraite basés sur les enfants seraient la solution. En Allemagne en 1957, lorsque les réformes ont été introduites, ce débat a eu lieu. Mais le chancelier de l’époque, Adenauer, a argumenté que les gens feraient des enfants quoi qu’il arrive. Ce qui s’est avéré faux.

The 6th Munich Economic Summit: Europe and the Demographic Challenge, Extrait du discours d’introduction.